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Gérard d'Houville, "Romance d'automne"
Sous le pseudonyme de Gérard d'Houville, aussi terne que sa vie fut tumultueuse, se cache la poète et romancière Marie de Hérédia, que nous appellerons par son vrai nom, de femme. Figure majeure de la Belle Epoque, Marie de Hérédia est née en 1875 à Paris et morte en 1963, et, comme son patronyme l'indique, elle grandit dans une famille à la sensibilité très artistique. Marie de Hérédia est en effet la fille du poète du même nom, ce qui explique sans doute, en partie, sa fibre littéraire. Au salon de son père, elle fréquente d'éminents auteurs , dont Anna de Noailles. Le poète Henri de Régnier devient son époux et elle sera la maîtresse de plusieurs célébrités de son temps dont le romancier Pierre Loüys, avec qui elle aura un fils, nommé Tigre, futur artiste maudit. Cette relation inspirera à Pierre Loüys le scandaleux roman Trois filles de leur mère. Marie de Hérédia devient également modèle pour les photographies érotiques de Pierre Loüys.
Elle choisit pour pseudonyme le nom d'un de ses ancêtres. Marie de Hérédia est l'auteur d'une œuvre prolifique ; en 1903 paraît son premier roman, L'Inconstante. Outre les roman, elle publie de nombreux poèmes, maus aussi des propostions pour le théâtre (de Maeterlinck), et une collaboration avec son fils lorsqu'il était enfant. On compare souvent son style à celui d'Anna de Noailles dont elle était très proche. En 1918 lui est décerné le premier prix de l'académie Française pour l'ensemble de son œuvre.
Le poème suivant, extrait de « Cinq chansons -Petits poèmes », est intitulé « Romance d'automne », Il est justement proposé en lecture complémentaire du poème « Paysages » d'Anna de Noailles (pour une séquence sur la fête en poésie). Ce poème paraît en 1917 dans la Revue des deux mondes ou Marie de Hérédia publiait régulièrement.Il s'agira de voir comment l'auteur célèbre l'automne dans ce poème.
NB : Il s'agit là d'une proposition de lecture complémentaire, et non de lecture analytique.
Texte étudié :
Romance d'automne
Viens rêver aux derniers feuillages
Auprès du feu brûlant et beau,
Où la robe des paysages
Se déchire en ardents lambeaux ;
Auprès du premier feu d’automne
Viens rêver, mon amie, entends
Dans le chant que la bûche entonne
Le regret des défunts printemps.
Mais surtout, rêveuse indolente,
Auprès du feu resplendissant,
Viens chérir la saison brûlante
Où tout est vrai comme le sang;
La saison des pactes suprêmes
Et des sentimens empourprés
Où tout est plus doux quand on aime
Où tout est pur, simple et sacré.
Viens évoquer le feu magique
Qui tout en haut des cimes luit,
Car les pâtres mélancoliques.
Ne l’allument qu’au bord des nuits.Quand, de ton rêve ou de ta vie
Tu le vois, clair sur le ciel noir,
Exalter sa force asservie
Vers le charmant astre du soir,
Tu sens que les splendeurs d’une âme,
Rassemblant enfin leurs flambeaux,
Deviendront cette unique flamme
Qui jaillit d’un sommet plus haut…
Qu’importe à l’ardeur sans partage
La brume proche du tombeau ?
Viens rêver aux derniers feuillages
Auprès du feu brûlant et beau…-
Une invitation : le poème s 'ouvre sur une invitation à la deuxième personne : « Viens » ; ce verbe est répété de façon anaphorique à cinq reprises, en début de vers. La simplicité et la familiarité de l'intonation laisse supposer que l'on s'adresse à un proche ; « ami(e), parent(e)... Cela est confirmé par l'apostrophe « mon amie » au vers 6, « amie » qualifiée tendrement de « rêveuse indolente » au vers 9. Cela plonge le lecteur dans une atmosphère intimiste et chaleureuse, qu'accentue la présence du feu (« auprès du feu brûlant et beau). Les invitations varient ; on trouve trois fois « viens rêver », notamment au début du poème et à la fin. Saison poétique par excellence, « saison mentale », d'après les mots d'Apollinaire, l'automne suscite les songes. Au milieu du poème, l'invitation varie : « Viens évoquer le feu magique » ; la dimension onirique, voire mystique du poème apparaît nettement. L'invitation qui ouvre le poème le ferme également, comme si le poète la réitérait.
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L'automne, une saison entre l'ardeur et la mort : ces deux réseaux lexicaux contradictoires se rencontrent dans le poème. L'automne est en effet le passage entre l'été, saison vivante, et l'hiver, saison morte. Le poète associe constamment l'automne au feu. Il est question du « feu brûlant et beau » au vers 2 (on remarque l'allitération en -b qui représente la vivacité, la pétillance du feu), mais aussi de la « saison brûlante », du « feu magique », des « flambeaux », de « l'ardeur sans partage »... La rencontre entre l'ardeur et la mort se concrétise dans le superbe oxymore du vers 4 : « ardents lambeaux ». Au champs lexical du feu, de la lumière et de la vivacité, donc, se mêle celui de la mort : « lambeaux », « défunt printemps », « derniers feuillages »...
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L'automne est aussi la saison du sentiment ; le poète la définit ainsi : « La saison des pactes suprêmes / Et des sentiments empourprés ». La métaphore « sentiments empourprés » peut évoquer la passion amoureuse, la référence à la couleur pourpre symbolisant l'amour... et le feuillage des arbres en automne. Ainsi, l'expression « saison des pactes » pourrait rappeler le pacte amoureux. L'automne, saison poétique, « saison mentale », est propice à l'épanchement et à la naissance des sentiments : « La saison (…) où tout est plus doux quand on aime / Ou tout est pur, simple et sacré ». De même, le « feu » dont il est question ici représente le feu du foyer, le feu de l'ardeur amoureuse, et celui du paysage automnale, romantique et troublé.
Image : Portrait de Marie de Régnier, Jean-Louis Forain, 1907.
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