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Mme Cottin, Claire d'Albe
La vie et l’oeuvre de Sophie Cottin sont sous-tendues par un paradoxe, qui peut se résumer en une phrase écrite par elle-même : « ne croyez pas, après le succès de Claire d’Albe, que je sois partisane des femmes auteurs, tant s’en faut. »
Déclaration au prime abord singulière de la part d’une femme qui a mis l’écriture au centre de sa vie. Née à Tonneins près de Bordeaux, Sophie Risteau grandit dans un milieu bourgeois qu’elle ne quittera pas, comme le veut la règle de son temps, en épousant Jean-Paul Cottin, banquier, à dix-huit ans. La jeune femme lit avec passion les auteurs à la mode de son temps : Rousseau, Richardson, Mme de Genlis…
La Révolution et la mort de son mari viennent rompre la stabilité de sa vie. C’est un immense revers de fortune pour Sophie Cottin qui se retrouve alors seule et désargentée. C’est d’abord en secret, semble-t-il, qu’elle pratique l’écriture puis publiera Claire d’Albe en 1799, non sans réserve, comme le montre sa déclaration. Vivant dans un monde où l’on considère que la littérature est une affaire d’hommes, élevée dans cet esprit, Sophie Cottin peine à assumer son talent d’écrivain. C’est anonymement qu’elle fait paraître Claire d’Albe. Mais suivront Malvina, en 1801, Amélie Mansfield, en 1803, Mathilde, roman historique, en 1805, qui la fait accéder à la célébrité.
Sa rencontre avec le philosophe Hyacinthe Azaïs sera très importante dans sa vie personnelle.
Sophie Cottin décède à Paris en 1807, et restera un grand nom de la littérature française durant plusieurs décennies après sa mort.
A l’époque où Sophie Cottin publie Claire d’Albe, la mode est encore à l’épistolaire. Mme Cottin s’y conforme dans ce court roman où la grande simplicité de l’intrigue, le nombre limité de personnages, et le resserrement de l’espace et du temps ne sont pas sans évoquer la tragédie.
Il faut bien avouer que Claire d’Albe est un roman daté, tant sur le plan de l’intrigue que du style, mais qui n’est pas dénué d’intérêt.
Le nom du personnage principal ne fait pas dans la subtilité. C’est la pureté, la femme vertueuse, bonne mère, et surtout bonne épouse d’un vieil industriel d’une soixantaine d’années dont la vertu va être mise à rude épreuve par l’arrivée d’un beau et brillant jeune homme dans la famille. Elise, l’amie de Claire et l’un des principaux épistoliers, assistera, impuissante, à l’inclination naissante de Claire pour le jeune Frédéric puis à son déchirement. Le propos moralisateur est considérablement vieilli. Difficile d’imaginer que par vertu uniquement, Claire refuse ses sentiments pour Frédéric et chante les louanges d’une vie où le bonheur, pour une femme, se limite à être bonne épouse et bonne mère. Le roman est une des illustrations de la pensée très conservatrice de son auteure à l’égard du statut social de la femme.
C’est cependant pour sa description subtile des mécanismes psychologiques, de l’emprise du sentiment naissant, d’abord refoulé, puis dévorant, que Claire d’Albe est intéressant. Pour la façon dont l’auteure au mis au grand jour ce que les personnages se cachent à eux-mêmes et d’un coup se dévoilent, au détour d’un sourire, d’un regard qui n’a pas eu lieu, de petites rivalités. L’ouverture du roman dépeint une sérénité qui contraste avec le tumulte de la fin qui agite claire. Elle est comme la surface lisse d’un lac que des bêtes viendront troubler des profondeurs.
Extrait :
CLAIRE À ÉLISE.
J’AI tort, en effet, mon amie, de ne t’avoir rien dit de l’asile qui bientôt doit être le tien, et qui d’ailleurs mérite qu’on le décrive ; mais que veux-tu ? quand je prends la plume, je ne puis m’occuper que de toi, et peut-être pardonneras-tu un oubli dont mon amitié est la cause.
L’habitation où nous sommes est située à quelques lieues de Tours, au milieu d’un mélange heureux de coteaux et de plaines, dont les uns sont couverts de bois et de vignes, et les autres de moissons dorées et de riantes maisons ; la rivière du Cher embrasse le pays de ses replis, et va se jeter dans la Loire ; les bords du Cher, couverts de bocages et de prairies, sont riants et champêtres ; ceux de la Loire, plus majestueux, s’ombragent de hauts peupliers, de bois épais et de riches guérets : du haut d’un roc pittoresque qui domine le château, on voit ces deux rivières rouler leurs eaux étincelantes des feux du jour, dans une longueur de sept à huit lieues, et se réunir au pied du château en murmurant ; quelques îles verdoyantes s’élèvent de leurs lits ; un grand nombre de ruisseaux grossissent leur cours ; de tous côtés on découvre une vaste étendue de terre riche de fruits, parée de fleurs, animée par les troupeaux qui paissent dans les pâturages. Le laboureur courbé sur la charrue, les berlines roulant sur le grand chemin, les bateaux glissant sur les fleuves, et les villes, bourgs et villages surmontés de leurs clochers, déploient la plus magnifique vue que l’on puisse imaginer.
Le château est vaste et commode, les bâtiments dépendants de la manufacture que M. d’Albe vient d’établir, sont immenses : je m’en suis approprié une aile, afin d’y fonder un hospice de santé, où les ouvriers malades et les pauvres paysans des environs puissent trouver un asile ; j’y ai attaché un chirurgien et deux gardes-malades ; et, quant à la surveillance, je me la suis réservée ; car il est peut-être plus nécessaire qu’on ne croit de s’imposer l’obligation d’être tous les jours utile à ses semblables : cela tient en haleine, et même pour faire le bien nous avons besoin souvent d’une force qui nous pousse.
Il peut être intéressant d’observer la façon dont l’auteure se sert du prétexte de la prochaine venue d’Elise chez les d’Albe pour décrire leur lieu de vie, et ce que cette description dit du caractère de l’épistolière. On la sent en harmonie avec cette nature paisible des paysages du bord de Loire, cette « douceur angevine » Son enthousiasme à décrire les lieux à son amie et son affection pour ceux-ci est sensible : « les bords du Cher, couverts de bocage et de prairies, sont riants et champêtres », « la plus magnifique vue que l’on puisse imaginer ». Enfin, le dernier paragraphe est l’occasion pour l’auteure de nous montrer la générosité de Claire.
Ce paysage rassurant, ensuite, permet à l’auteur de graduer subtilement son drame et de faire paraître la chute et l’affolement de Claire d’autant plus terribles qui rien ne les laissait présager . La demeure des d’Albe et ses environs ont tout du locus amoenus, ou si l’on oublie pas le propos moralisateur de l’auteure, du jardin d’Eden avant la chute d’Eve. A la nature luxuriante « quelques îles verdoyantes », se mêle la richesse des cultures « moissons dorées », « terres riches de fruits », « troupeaux qui paissent dans les pâturages », tandis que cours d’eau apporte la fraîcheur et la mobilité nécessaires à l’équilibre esthétique du paysage « la rivière du Cher embrasse le pays et ses replis, et va se jeter dans la Loire ».
La terre est généreuse, elle donne sans compter à l’image de la bonne mère et de la bonne épouse qui veille au bien-être de chacun : « quant à la surveillance, je me la suis réservée ; car il est peut-être plus nécessaire qu’on ne le croit de s’imposer l’obligation d’être tous les jours utile à ses semblables. » Mais la rivière, le fleuve, sont aussi les veines que charrient le sang alors calme, et tourmenté sous l’emprise de la passion.
On peut ainsi envisager d’étudier certains passages de Claire d’Albe en lecture analytique ou complémentaire, dans le cadre d’une étude sur le roman épistolaire, sur la sensibilité au XVIII eme siècle, en prolongement d’une étude sur la distinction classique entre raison et passion, la peinture de l’amitié ou de la passion en littérature. La lecture du roman complet peur s’avérer complexe pour des élèves de lycée en raison du caractère très daté du propos et du style de l’auteure mais tout dépend bien sûr de l’angle d’approche de l’oeuvre.
Image : Sophie Cottin, auteur inconnu.
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Commentaires
Intéressant, mais peut-être y a-t-il une petite étourderie dans : "Née à Paris près de Bordeaux", non ?
Merci de mettre en lumière cette littérature méconnue.
C'est rectifié ! Merci !