• Nina de Villars, "Testament"

    Il est attristant de voir aujourd'hui à quel point il nous reste si peu de traces de Nina de Villars.Nina de Villars, "Testament" Et pourtant, au-delà de ses qualités d'écrivain, quelle personnalité. Nina de Villars, ou Nina de Callias, naît en 1843 à Lyon et s'éteint en 1884 à Vanvres. Une courte vie d'une incroyable intensité.

    La jeune Nina grandit dans un foyer aisé ; elle épouse Hector de Callias, un journaliste au Figaro, de qui, le divorce n'étant guère possible en son temps, elle se séparera. Arrivée à Paris, elle tient un des salons les plus réputés de son époque, où l'on rencontre les plus grands : Villiers de l'Isle Adam, Rollinat, Verlaine, son amant Charles Cros. Les figures décadentes de cette fin de siècle se précipitent à ses audacieuses réceptions, où il n'y a nul besoin de relation ou de mot de passe pour être introduit ; « un sonnet suffit ».

    On rentre chez Nina de Villars comme chez soi ; jour et nuit, sa maison bouillonne de vie.

    « Si tous les gens célèbres et si tous les ratés qui ont passé dans la maison de Nina de Villars, qui ont dîné chez elle, qui ont trouvé dans son auberge l'hospitalité, la nuitée, maintes fois, en hiver, seulement offerte par les étoiles ; si tous ceux qui, par bohème ou par curiosité, ont été les convives passagers de cette excentrique, de cette dévoyée, de cette tourmentée, se reposant enfin, dans la mort, de deux années de souffrances ; si tous, les plus graves, les plus sévères, les plus illustres, comme les fantoches dont le génie est dans l'ombre, artistes parleurs à la morale vague comme leur existence ; si tous enfin suivent le cercueil de cette pauvre femme, il y aura là, certes, une élite parisienne, en même temps des types de troisième dessous extraordinaires.
    Et ce sera un bel enterrement. », écrit le journaliste Félicien Champsaur en guise d'éloge funèbre -vaguement ironique-, en 1884. Cette générosité fantasque, d'après le peu d'informations que l'on possède, semble pourtant être une réelle caractéristique du tempérament de Nina de Villars.

    En 1873, Manet peint son portrait. Cela contribuera largement à sa célébrité. Languissament allongée, vêtue à l'orientale comme le veut la mode fin-de-siècle, Nina de Villars apparaît sous le nom de la « Dame aux éventails » sur ce tableau qui sera largement commenté.

    Salonnière de renom, Nina de Villars est aussi une brillante musicienne dont on apprécie particulièrement les talents de pianiste en son temps, et bien entendu, écrivain.

    Son succès déclinera néanmoins après la Commune, Nina de Villars ayant déserté Paris pendant un temps. Lorsqu'elle revient, ses fidèles l'ont quittée, une nouvelle cour arrive à son salon, mais son succès et sa santé déclinent. Son addiction à l'absinthe et ses nuits festives auront raison d'elle.

    Nous avons encore accès aux Feuillets Parisiens, une sorte de chronique parisienne poétique et très moderne, en sonnets, dixains où son esprit légèrement ironique et son sens de la formule attirent l'attention. On y trouve également des saynètes, et son texte La Duchesse Diane a été publié à part.

    Parmi le peu de textes que l'on peut facilement consulter de Nina de Villars, il nous reste heureusement l'un des plus beaux ; « Testament » un poème aussi festif que son titre est macabre, et dont les accents autobiographiques ne peuvent qu'émouvoir.

    Il s'agira de voir, dans l'étude de ce texte proposé en lecture analytique, comment ce « Testament » célèbre paradoxalement la joie de vivre, en observant tout d'abord la dimension autobiographique du texte, puis l'analogie entre l'enterrement et une célébration mondaine.

     

     

    Texte étudié :

    Testament

     

    Je ne veux pas que l’on m’enterre, – dans un cimetière triste; – je veux être dans une serre, – et qu’il y vienne des artistes.

    Il faut qu’Henry me promette – de faire ma statue en marbre blanc – et que Charles me jure sur sa tète – de la couvrir de diamants.

    Les bas-reliefs seront en bronze doré. – Ils représenteront – Les trois Jeanne, puis Cléopatre et puis Aspasie et Ninon.

    Qu’on chante ma messe a Notre-Dame, – parce que c’est l’église d’Hugo; – que les draperies soient blanches comme des femmes – et qu’on y joue du piano.

    Que cette messe soit faite par un jeune homme, – sans ouvrage et qui ait du talent. – Il me serait très agréable – que de la chanteuse il fut l’amant.

    Enfin, que ce soit une petite fête, – dont parlent huit jours les chroniqueurs. – Sur terre, hélas! puisque je m’embête, – faut tacher de m’amuser ailleurs.

     

    I-Un poème aux résonances autobiographiques.

    1-La liste des dernières volontés.

    Le titre « Testament » suggère que le poète s’apprête à dévoiler l’ intimité de quelqu’un (la sienne?) ; il s’agit du bilan personnel d’une vie, de dévoiler ce que l’on veut laisser. La première personne domine le poème, et ce dès son ouverture percutante : « Je ne veux pas que l’on m’enterre -Dans un cimetière triste;- (...) ». Dans chaque strophe du poème est exprimée l’une des dernières volontés de l’auteur , comme le montre le mode injonctif : « Il faut qu’Henry me promette(...) » / « Qu’on chante ma messe à Notre-Dame », «Que cette messe soit faite (...) », « Enfin, que ce soit une petite fête ». Ces injonctions ouvrent ces strophes dont la forme originale rappelle plus un véritable « testament » en prose qu’un poème en vers.

    2-Les références à la vie de l’auteur.

    La date à laquelle ce poème a réellement été rédigé est inconnue ; mais au regard des indices laissés, on peut supposer qu’il a été écrit par une Nina de Villars affaiblie par l’alcool, délaissée, qui ne trouve plus de sources de distraction dans sa vie mondaine. Certains noms propres attirent l’attention, particulier « Charles » (« Et que Charles me jure sur sa tête »), qui peut désigner Charles Cros, l’amant de Nina de Villars , et Henry (« Il faut qu’Henry me promette ») ; un autre amant ? Un parent ? Ces dernières volontés ne sont pas non plus sans évoquer la vie de Nina de Villars. Les figures d’autorité auxquelles elle fait allusion correspondent à différentes facettes de sa personnalité : « Cléopâtre » pour la mode orientaliste fin-de-siècle, à laquelle Nina de Villars, si l’on en croit le tableau La Dame aux éventails, goûtait ; Aspasie, compagne de Périclès, pour le rôle politique et culturel qu’elle a joué en son temps ; et enfin, plus proche d’elle encore, Ninon, pour Ninon de Lenclos. On remarque la paronomase qui rapproche les noms Ninon et Nina. Ninon de Lenclos est également la personnalité la plus proche de Nina de Villars dans celles citées. Salonnière, femme de lettres du XVII eme siècle aux mœurs libérées, elle incarne certainement une référence pour l’auteur . La liste des volontés elle-même représente également bien le caractère de la poète : la « statue en marbre blanc » qu’elle demande, particulièrement baroque ; la mention du piano (« Et qu’on y joue du piano ») -Nina de Villars était excellente pianiste- ; l’appel aux chroniqueur (« Dont parlent huit jours les chroniqueurs »), personnages dont toute mondaine cherche à attirer l’attention.

     

    II-Une célébration mondaine.

    1)Un salon, une fête galante.

    Ces funérailles s'apparentent soit à une réception au salon, soit à une fête mondaine. On retrouve le vocabulaire de la salonnière : « et qu'il y vienne des artistes ». Le poète adopte ici la posture de la mécène qui reçoit ses artistes protégés. Quatre arts sont représentés : la sculpture ; « Il faut qu'Henry me promette- De faire ma statue en marbre blanc- » ; la musique ; « Qu'on chante ma messe à Notre-Dame », « Et qu'on y joue du piano », « la chanteuse », la littérature « Parce que c'est l'église d'Hugo », l'éloquence « Que cette messe soit faite par une jeune homme-Sans ouvrage, et qui ait du talent- ». L'enterrement a également des airs de fête galante ; l'auteur mentionne le nom de « Charles », son amant, auquel vient faire écho la cinquième strophe : « Que cette messe soit faite par un jeune homme -Sans ouvrage, et qui ait du talent-. Il me serait très agréable – Que de la chanteuse il fut l'amant. » L'auteur évoque aussi, dans une comparaison tout à fait originale, à la quatrième strophe, les « draperies (…) blanches comme des femmes » ; c'est-à-dire que la blancheur de la draperie rappelle la carnation d'une femme, blanche comme le veut la mode du XIX eme siècle.

    2) Une célébration de la vie par une mondaine.

    Ce poème est avant tout une célébration de la vie, par une mondaine qui déclare d'un ton à la fois ironique et désabusé : « Sur terre, hélas ! Puisque je m'embête- faut tâcher de m'amuser ailleurs. » La familiarité du « faut pas » accentue cette idée d'ironie, de même que l'interjection « hélas ! » placé à l'hémistiche ; les funérailles sont envisagées comme une fête qui ouvrira la porte à de nouveaux plaisirs. Cela rappelle l'ouverture du texte : « Je ne veux pas que l'on m'enterre- Dans un cimetière triste. » Cette ouverture sonne comme une contradiction, presque une provocation qui donne le ton du poème. L'auteur joue avec les code des funérailles qu'elle détourne. A la place du noir traditionnel, elle demande à ce que « les draperies soient blanches » ; de même la statue dit être en « marbre blanc », couleur de la lumière, de la vie. A l'inverse de la sobriété et de la réserve de mise ordinairement, elle veut que la statue soit couverte « de diamants », et que l'officiant soit l'amant de la chanteuse : « Que de la chanteuse il fut l'amant. » Enfin, le vers irrégulier, rimé de façon aléatoire, la strophe libérée et déconstruite symbolisent la pétillance fantasque et démesurée de la défunte, un débordement de vie.

     

    Dans ce poème aux résonances autobiographique, le poète semble exposer ses dernières volontés, où l'on trouve de nombreuses références à son propre vécu. Cet enterrement qui s'apparente à une célébration mondaine, aux airs de réception de salon ou de fête galante, célèbre la vie avec ironie et élégance.

    Image : Nina de Callias, Edouard Manet, 1873.

     

     

     


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